C'est mon tour... C'est un texte que j'ai déjà mis en ligne sur mon site mais j'ai pas beaucoup de visite alors je me permets de la mettre ici! Il s'agit d'un petit comptes gris.
Bonne lecture!
Zombie
Il était une fois, dans un temps indéfini, une planète désolée où s'ébattait une tribu de zombies. Sans véritablement prétendre à une intelligence dans le sens vivant du terme, leurs longues années de joyeux crapahutage sur la rocaille dorée avaient provoqué chez ces écervelés le développement d'un instinct. Que ce soit une réminiscence des fonctions cérébrales de leur ancienne vie ou l'embryon d'une évolution de l'espèce vers ce que l'on pourrait nommer 'zombo sapiens', le fait est qu'ils avaient créé un village organisé, avec un système hiérarchique de type dictature. A y regarder de plus près, on pouvait aisément constater que leurs activités restaient stériles - lorsque le soleil disparaissait à l'horizon, ils s'allongeaient par terre et ne se relevaient qu'aux premières lueurs, sans pour autant dormir - ils fabriquent des outils et armes pour chasser, sans se rendre compte de l'absence totale de gibier, et également de faim... - mais la volonté de bien faire les animait, il serait inutile d'en demander plus.
Parmi cette troupe se trouvait un mort-vivant qui se démarquait des autres. Fruit d'une expérience malheureusement réussie du chef de la planète, un nécromancien n'ayant pas survécu à son grand âge, il avait la particularité de se souvenir de quelques faits de son vivant. L'expérience qui lui avait offert sa seconde vie consistait à mélanger l'âme d'un vivant au corps d'un mort. Le nécromancien n'en était plus à un blasphème près et étant à court d'ennemi, il lui fallait s'occuper. Par opposition au reste de son peuple, ce zombie particulier s'abêtissait avec le temps. Au début, il s'interrogeait sur le sens de sa non-vie, plus préoccupé par la beauté du coucher de soleil que par son instinct destructeur. Désormais, tant d'années plus tard, il ne lui restait plus que des brides de souvenirs, des flashs de pensées cohérentes entremêlées à une envie rongeante de se noyer parmi ses frères.
D'ailleurs il était en quelque sorte l'idiot du village, pour employer des termes humains. Même s'il avait tendance à s’abêtir, il restait plus malin que tous les autres, et se basait moins sur son instinct. Il lui arrivait par exemple de ne pas suivre les mouvements de groupe, ce que les autres voyaient d'un mauvais oeil. Mais ne faisant pas appel à son potentiel, il fallait reconnaître que son niveau intellectuel s'abaissait à une vitesse ahurissante. Par opposition, il lui arrivait d'avoir des crises durant lesquelles des souvenirs resurgissaient, sous forme d'image, d'idée même. Il ne savait pas quoi en faire, et la plupart du temps les chassait de son esprit.
Un beau jour, lors d'une de ses crises, l'une des dernières mais paradoxalement des plus fortes, il se souvint de son créateur, de sa gentillesse bien cachée derrière ses traits secs et méprisants. Il se rappela ce qu'était le langage, dont lui-même avait perdu l'usage lorsque sa gorge fut broyée un jour de chasse, alors qu'il fut piétiné par la troupe de zombies en quête de proie. Il se rappela les mots que le mage noir avait prononcés.
_ Mon cher Herbert, je crains que mon oeuvre reste incomplète. Lorsque je vois les autres je me dis toujours qu'un succès ne compense pas tant d'erreurs... Mais tu es là, et tu non-vis parfaitement bien. Cela fait plusieurs mois maintenant, j'ai pu travailler sur la suite de mon grand projet!
Il se rappela que son créateur avait perdu au fur et à mesure de son monologue son teint blanc cadavérique au profit d'un rose qui ne présageait rien de bien, mais il ne l'avait pas interrompu.
_ Ton complément est prêt!!! Il ne nous reste plus qu'à la libérer de ses liens pour la faire non-vivre! Et tu auras alors ta compagne! Deux morts vivants capable de...
La couleur rose malsaine avait alors gagné tout son visage, et le nécromancien s'était subitement arrêté. Herbert l'avait regardé s'étouffer, sans comprendre en quoi cela pouvait être problématique. Il n'avait réalisé qu'après que son créateur n'avait pas été pas mort comme lui, mais que c'était maintenant chose faite. Lorsque le mage ne se releva pas, sa créature le laissa pour prendre l'air. Il n'était jamais revenu et n'avait jamais plus revu d'être humain vivant.
Mais dans cet ultime sursaut intellectuel, ses paroles lui offraient une perspective intéressante. Un peu las de sa condition, de cet éternel décomposition, il décida de retrouver le chemin où avait eu lieu sa seconde naissance, afin de comprendre ce qu'était la compagne dont son maître avait parlé.
Les zombies avaient vécu en nomade durant des décennies, mais par une attraction quelconque ils ne s'étaient point aventurés assez loin pour ne plus voir la basse tour de leur créateur. Si bien qu'il ne fallut que peu de temps à Herbert pour arriver devant le laboratoire de magie noire. Il se cogna plusieurs fois contre ses murs avant de s'interroger. En un éclair de génie, il se souvint d'une porte qu'il avait franchit auparavant. Et il la retrouva en suivant le mur. Elle était à moitié disloquée et tombée en travers du passage. Il n'eut qu'à frapper dedans pour la décrocher et pouvoir passer.
Certaines créatures étaient sorties de leurs cages et avaient prospéré, reliquats d'expériences contre nature, résultats de l'esprit fertile mais dérangé du mage. Peu furent suffisamment téméraires pour s'approcher du cadavre ambulant et lorsqu'un croisement entre un iguane géant et un raton laveur tenta de le faire tomber, un coup porté avec une table proche suffit pour le calmer. Il ne jeta pas un seul regard au reste des habitants qui lui laissèrent subitement la paix
Clopinant sur ses pieds usés par le sol de roche de la planète, il parcourut les étages, s'enfonçant progressivement dans les souterrains. Son regard glissa sur quelques souvenirs, en premier sur ses quartiers d'esclave, avant sa transformation, puis plus bas sur la salle où son âme avait changé d'hôte. Une fuite du système d'irrigation du laboratoire fit tomber sur son crâne mangé par les fourmis mutantes un filet d'eau, créant l'illusion d'une larme qui coulait de son unique orbite encore occupé.
Egalement l'endroit où son maître avait poussé son dernier soupir. Il s'y arrêta quelques instants. Il ne restait plus qu'un squelette désormais, aux os rabougris et tordus, à l'image du sorcier. Il repartit sans un regard en arrière. Des morts, il en voyait tous les jours.
Il dévala littéralement quelques autres escaliers de pierre vermoulue avant de gagner le niveau le plus bas de la plus basse section du laboratoire. Une unique salle s'y trouvait, garnie d'instruments trop complexes pour que son esprit actuel les reconnaisse. Des symboles magiques étaient dessinés à même la pierre, partout sur le plafond, les murs et le sol. Au centre de la salle se trouvait une table d'opération dont l'un des pieds avait cédé et qui était renversée. Une masse se trouvait non loin, ayant visiblement roulé au sol lorsque la table avait failli sous son poids. A moitié vêtue d'un drap noir de poussière, un zombie femelle était sur le dos, les mains placées sur le ventre, comme une figure de pure virginité. Un rat de bonne taille s'enfuit avec un bout de sa cuisse lorsque Herbert s'approcha plus près. Il était tout simplement fasciné par son visage, entouré d'une auréole de cheveux moisis. La finesse de ses traits presque intacts reflétait une grande beauté.
Il sut instinctivement ce qu'il avait à faire. Pliant avec difficulté ses jambes raidies, il s'accroupi auprès de sa dulcinée. Approcher son visage du sien se révéla être un exercice de contorsion des plus difficile, et il fut contraint de forcer sa nuque à obéir avec ses mains aux doigts perdus. Herbert déposa un chaste baiser sur les lèvres miraculeusement intactes de sa promise et gémit de satisfaction. Lentement, le visage de la zombie s'éveilla et elle ouvrit laborieusement les paupières.
Ils ne purent bien sûr se marier, le concept étant quelque peu dépassé dans leur condition, mais malheureusement ils n'en eurent pas moins de nombreux enfants. Inutile de dire qu'au bout de quelques années, ils se trouvèrent dans un tel état de décrépitude qu'ils furent dans l'incapacité de concevoir plus. Mais la nouvelle génération était implantée, et à défaut d'être malins, ils connaissaient les mécanismes de base de leur corps.
Trop tôt, la planète fut couverte de zombies qui vécurent heureux en communauté jusqu'à la fin de l'univers.
Rutad